Qu’est-ce que la néphropathie diabétique ?
La néphropathie diabétique est la cause la plus fréquente d’insuffisance rénale terminale dans le monde. Elle se développe chez les personnes atteintes de diabète de type 1 ou de type 2, quand les reins commencent à laisser passer trop de protéines dans les urines - un signe appelé albuminurie. Ce n’est pas juste un problème de reins : c’est un signal d’alerte majeur pour les maladies cardiaques. Si vous avez du diabète et que vos urines contiennent plus de 300 mg de protéines par jour sur deux mesures espacées de trois mois, vous êtes probablement en phase de néphropathie diabétique. Et ce n’est pas une condition qui disparaît d’elle-même.
Pourquoi les IECA et les ARB sont-ils la première ligne de traitement ?
Depuis plus de vingt ans, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et les bloqueurs des récepteurs de l’angiotensine II (ARB) sont les médicaments de référence. Pourquoi ? Parce qu’ils font deux choses en même temps : ils abaissent la pression artérielle et protègent les reins. Ils agissent sur le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), une chaîne de réactions qui, quand elle est trop active, augmente la pression à l’intérieur des filtres rénaux. Cette pression élevée écrase les petits vaisseaux des reins et fait fuir les protéines. Les IECA et les ARB réduisent cette pression, ce qui diminue l’albuminurie et ralentit la détérioration des reins.
Des études comme RENAAL et IDNT ont montré que les ARB comme le losartan ou l’irbesartan réduisent de manière significative le risque d’atteindre une insuffisance rénale terminale chez les patients avec une albuminurie sévère. Les IECA comme le captopril, le ramipril ou le benazepril ont le même effet. Ce n’est pas une question de marque : c’est une question de mécanisme. Tous ces médicaments fonctionnent de la même façon, même si seuls certains sont officiellement approuvés pour cette indication aux États-Unis.
Comment bien les utiliser ? Doses maximales, pas doses minimales
Beaucoup de patients prennent des doses trop faibles. C’est un énorme problème. Les essais cliniques qui ont prouvé l’efficacité de ces médicaments utilisaient des doses maximales tolérées. Par exemple : le captopril à 25 mg trois fois par jour, le ramipril jusqu’à 20 mg par jour, le benazepril à 40 mg. Mais dans la pratique, beaucoup de médecins restent à 10 mg ou 5 mg, par peur d’augmenter la créatinine sanguine.
Et c’est là que tout se gâte. Une élévation de la créatinine de moins de 30 % n’est pas un signe de lésion rénale - c’est un effet normal, voire bénéfique, du médicament. Cela signifie que les filtres rénaux se détendent, que la pression diminue, et que les protéines cessent de fuir. Arrêter le traitement pour cette raison, c’est comme arrêter un parachute parce que le saut a fait peur. L’American Diabetes Association le dit clairement : ne pas atteindre la dose maximale tolérée, c’est un soin sous-optimal.
Le contrôle des protéines : plus qu’un chiffre
La réduction de l’albuminurie n’est pas qu’un objectif biologique. C’est un indicateur vivant de la santé rénale. Chaque fois que le taux de protéines dans les urines baisse, le risque de dégradation rénale diminue. Mais ce n’est pas une course à la valeur la plus basse possible. L’objectif est d’atteindre une albuminurie stable, faible, et surtout durable. Pour y arriver, il faut bien doser les IECA ou les ARB, surveiller la pression artérielle (cible : < 130/80 mmHg), et limiter l’apport en protéines à 0,8 g par kg de poids corporel par jour - pas moins, pas plus. Une alimentation trop pauvre en protéines peut nuire à la masse musculaire, surtout chez les personnes âgées.
Les combinaisons à éviter absolument
Il est tentant de combiner un IECA et un ARB pour « renforcer » l’effet. Mais ce n’est pas une bonne idée. Les études VA NEPHRON-D, ONTARGET et ALTITUDE ont montré que cette association n’apporte aucun bénéfice supplémentaire sur la progression de la maladie rénale. En revanche, elle double le risque d’hyperkaliémie (taux de potassium trop élevé) et augmente de deux fois le risque d’insuffisance rénale aiguë. Même chose avec les inhibiteurs directs de la rénine, comme le aliskiren : à éviter.
Autre danger : les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène ou le diclofénac. Ils réduisent le flux sanguin vers les reins. Associés à un IECA ou un ARB, ils peuvent provoquer une insuffisance rénale brutale, surtout chez les personnes déshydratées ou avec une fonction rénale déjà réduite. Même les diurétiques puissants comme la furosémide (Lasix) peuvent augmenter ce risque. Il faut les utiliser avec prudence, et toujours sous surveillance.
Les nouveaux traitements : SGLT2 et MRAs, mais pas en remplacement
Les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose 2 (SGLT2), comme l’empagliflozine ou le dapagliflozine, ont révolutionné la prise en charge du diabète. Ils protègent aussi les reins - et de manière impressionnante. Mais ils ne remplacent pas les IECA ou les ARB. Toutes les grandes études sur les SGLT2 ont été menées chez des patients déjà traités par un IECA ou un ARB à dose maximale. C’est le socle. Les SGLT2 viennent en complément. Même chose pour les antagonistes non stéroïdiens des récepteurs de la minéralocorticoïde (MRAs) comme le finerenone. Ils ajoutent un niveau de protection, mais seulement si le fondement est déjà posé.
Quand ne pas les prescrire ?
Les IECA et les ARB ne sont pas recommandés pour prévenir la néphropathie chez les patients diabétiques qui n’ont ni hypertension, ni albuminurie. Une étude sur des patients avec diabète de type 1, normotenseurs et sans albuminurie a montré que l’énalapril n’empêchait pas la progression rénale - même s’il a ralenti la rétinopathie. Donc : pas de traitement préventif si les reins sont encore sains. La règle est simple : si vous avez du diabète, de l’hypertension et/ou des protéines dans les urines, alors les IECA ou ARB sont indispensables. Sinon, pas de bénéfice prouvé.
Le grand défi : pourquoi tant de patients ne sont pas traités ?
Malgré des recommandations claires depuis des années, seulement 60 à 70 % des patients éligibles reçoivent un IECA ou un ARB après le diagnostic de néphropathie. Pourquoi ? Parce que les médecins ont peur. Peur de la créatinine qui monte. Peur de l’hyperkaliémie. Peur de la pression des patients qui disent « je me sens mal ». Mais la peur ne doit pas remplacer la science. La preuve est là : traiter à dose maximale, c’est ralentir la maladie, éviter les dialyses, sauver des vies.
Il faut changer la culture. Ce n’est pas un médicament à prendre « pour voir ». C’est un traitement fondamental, comme l’insuline ou les statines. Il faut l’initier tôt, le doser fort, et le maintenir, même si la créatinine augmente légèrement. La plupart des patients s’adaptent bien. Leur reins se protègent. Leur cœur aussi.
Et après ? La voie vers une prise en charge globale
La néphropathie diabétique ne se traite pas avec un seul médicament. C’est un puzzle. Les IECA ou ARB sont la pièce centrale. Mais il faut aussi : contrôler la glycémie (HbA1c < 7 %), gérer la pression artérielle, limiter le sel, arrêter de fumer, faire de l’exercice, et surveiller les autres organes (yeux, cœur, nerfs). Les nouveaux traitements comme les SGLT2 et les MRAs viennent s’ajouter, mais seulement après que le fondement soit solide.
La bonne nouvelle ? Même avec une fonction rénale réduite (eGFR < 30 mL/min/1,73 m²), ces médicaments continuent de protéger les reins et de réduire la mortalité. Ce n’est plus une question de stade avancé ou non. C’est une question de bonne pratique. Et la bonne pratique, c’est de ne jamais sous-doser.
Les IECA et les ARB peuvent-ils guérir la néphropathie diabétique ?
Non, ils ne guérissent pas la néphropathie diabétique. Mais ils ralentissent considérablement sa progression. Ils réduisent la perte de protéines dans les urines, protègent les filtres rénaux et diminuent le risque de dialyse ou de transplantation. C’est une protection, pas une cure. Plus on les utilise tôt et à bonne dose, plus leur effet est durable.
Puis-je arrêter les IECA ou ARB si je me sens bien ?
Non. Même si vous vous sentez bien, si vous avez une néphropathie diabétique, ces médicaments continuent de protéger vos reins. Les dommages rénaux sont silencieux. Arrêter le traitement peut entraîner une rechute rapide de l’albuminurie et une accélération de la détérioration rénale. C’est un traitement de long terme, souvent à vie.
Quelle est la différence entre un IECA et un ARB ?
Les deux bloquent le système rénine-angiotensine, mais à des étapes différentes. Les IECA empêchent la formation de l’angiotensine II, tandis que les ARB bloquent son action sur les récepteurs. Les deux réduisent la pression rénale et l’albuminurie. Certains patients tolèrent mieux un ARB (moins de toux), d’autres préfèrent un IECA. Le choix dépend de la tolérance, pas de la supériorité. Les deux sont efficaces.
Pourquoi la créatinine augmente-t-elle quand je prends un IECA ou un ARB ?
C’est normal. Ces médicaments dilatent les vaisseaux sortants des glomérules rénaux, ce qui diminue la pression à l’intérieur. Cela réduit la filtration, donc la créatinine monte légèrement. C’est un signe que le médicament fonctionne, pas qu’il endommage les reins. Tant que l’augmentation est inférieure à 30 % et qu’il n’y a pas de déshydratation, il faut continuer. Arrêter pour cela, c’est renoncer à la protection rénale.
Puis-je prendre un AINS comme l’ibuprofène avec un IECA ou un ARB ?
Non, c’est dangereux. Les AINS réduisent le flux sanguin vers les reins. Associés à un IECA ou un ARB, ils peuvent provoquer une insuffisance rénale aiguë, surtout chez les personnes âgées ou déjà avec une maladie rénale. Pour la douleur, privilégiez le paracétamol. Si vous devez prendre un AINS, faites-le très rarement, court terme, et sous surveillance médicale.